Les dirigeants de VOX, à Séville, le 3 décembre 2018.
JORGE GUERRERO / AFP
Le parti d’extrême droite Vox a fait une irruption remarquée, le
2 décembre 2018, lors des élections en Andalousie en obtenant
396 000 voix (contre 18 000 en 2015) – soit 8 % des voix et 12 députés
sur 109 au Parlement régional. Il y détient désormais une position clé
vis-à-vis du Parti populaire (PP, droite) et de Ciudadanos (C’s,
libéral). Si l’on en juge par les sondages réalisés dans l’hypothèse d’élections générales anticipées,
Vox poursuivrait son ascension et entrerait au Congrès des députés
(Cortes). Les différents sondages des instituts privés prévoient des
intentions de vote entre 8 % et 13 % (soit une fourchette entre 20 et
45 députés sur 350). Le séisme andalou semble se propager au reste de
l’Espagne. À noter, toutefois, que le baromètre politique de décembre 2018
du Centre de recherches sociologiques (CIS) situe les intentions de
vote en faveur de Vox à 3,7 % (+1,5 point par rapport à novembre), sans
estimer le nombre de députés. Quasiment inconnu il y a encore 3 ans, Vox – dont le nombre
d’adhérents a quadruplé en 2018 (20 706 contre 4 951) – séduirait plus
de deux millions d’électeurs, selon le Panel Confidencial (un échantillon stable de plus de 1 000 personnes interviewées en quatre vagues en 2018). À partir du croisement des variables sociodémographiques, de classes
sociales et politiques de ces différentes enquêtes et des résultats des
élections andalouses, nous pouvons répondre à plusieurs questions clés
sur les électeurs de Vox :
Qui sont-ils ?
D’où viennent-ils ?
Quel est leur profil social ?
Quelles sont les raisons de leur vote ?
Un électorat de droite, proche sociologiquement des libéraux
Cette étude (voir ci-dessous) montre que l’électorat traditionnel de
la droite reste fidèle au PP, alors ses secteurs les plus dynamiques le
quittent pour Vox et C’s : plus de 67 % des électeurs de Vox proviennent
du PP et 17 % de C’s. Même si le transfert des voix des électeurs de
gauche (PSOE et Podemos) en faveur de Vox atteint 8 %, nous n’observons
pas un symptôme clair de transversalité. Pour l’essentiel il s’agit
d’une réaffectation du vote au sein de la droite. Les réserves de voix de ce parti d’extrême droite se situent donc
principalement dans l’électorat du PP, mais le profil type de l’électeur
de Vox ressemble paradoxalement à celui du parti libéral Ciudadanos
(C’s) : homme, âgé entre 35-55 ans, résidant dans une ville de plus de
50 000 habitants, en activité et appartenant à la classe moyenne, et
idéologiquement situé plutôt à la droite de l’échiquier politique. Les variables sociodémographiques montrent un électorat de Vox
similaire à celui de C’s et éloigné du stéréotype de l’électeur
traditionnel de droite : des femmes, des retraités et des ruraux.
Celui-ci reste fidèle au PP (cf. tableau ci-dessous)
Profil sociodémographique comparé de l’électorat du PP, de C’s et de Vox
Panel confidencial, quatrième vague, décembre 2018.Plus de 60 % des électeurs de Vox se situent dans la tranche d’âge
moyen (entre 25 et 55 ans) contre 62 % pour C’s et 34,7 % pour le PP. La
base électorale du PP demeure déséquilibrée par le poids des électeurs
de plus de 54 ans : 59 % contre 31 % pour C’s et 35 % pour Vox. La majorité de l’électorat de Vox est en activité et appartient à la
classe moyenne (notamment petits entrepreneurs et travailleurs
indépendants selon le CIS), alors que celle du PP est à la retraite.
Près de 42 % des électeurs de Vox ont suivi des études supérieures (et
35 % n’ont que le niveau des études primaires) et 30 % résident dans des
villes de 10 000 à 50 000 habitants et plus de la moitié dans des
villes de 50 000 habitants et plus.
Unité de l’Espagne et immigration : les raisons du vote en faveur de Vox
Sur l’échelle idéologique (1 pour l’extrême gauche et 10 l’extrême
droite), les électeurs de Vox sont situés en moyenne à 7.2, soit un
positionnement légèrement supérieur à l’électorat du PP. Environ 60 % de
ses électeurs se situent entre 7 et 8, seuls 10 % se trouvent dans des
positions plus extrêmes (9 et 10) et 25 % sont positionnés au centre (5
et 6). Il ne semble pas qu’il y ait une congruence entre les motivations
des électeurs et le programme et l’idéologie sous-jacente de Vox. Les principales raisons du vote en faveur de Vox avancées par ses
électeurs sont liées à l’identité espagnole ou la signification qu’ils
attribuent à la notion « être espagnol » : l’unité de l’Espagne, le
problème territorial et l’immigration. La remise en cause des lois sur
les violences de genre n’apparaît pas dominante dans les motivations du
vote alors qu’elle est très présente dans l’idéologie et le discours des responsables de ce parti d’extrême droite. La question de l’unité de l’Espagne et la remise en cause de son
modèle d’organisation territoriale au profit d’une plus grande
centralisation de l’État sont prédominantes dans le vote en faveur de
Vox. À cet égard, le conflit catalan joue un rôle de catalyseur du
nationalisme espagnol voire du national populisme espagnol. Selon une enquête de l’Institut 40 dB.
auprès des électeurs qui ont voté Vox lors des élections andalouses,
près de 34 % ont choisi ce parti pour « défendre l’unité de
l’Espagne » ; 28 % « pour arrêter le mouvement d’indépendance » et près
de 25 % pour « mettre fin à l’État des autonomies ». La question de l’immigration est particulièrement sensible en
Andalousie considérée comme la première porte d’entrée des migrants en
Espagne. Ainsi, près de 42 % des électeurs de Vox ont choisi cette
formation en raison de son discours xénophobe sur l’immigration. Au
niveau national, seuls 10 % des électeurs de Vox citent l’immigration
comme raison de leur choix. Mais cette question peut finir par être
décisive (dans un contexte national populiste et par contagion des autres pays européens). Vox va bientôt faire son entrée dans les institutions politiques
espagnoles : aujourd’hui le Parlement andalou et demain le Congrès des
députés. Mais qu’en pensent les Espagnols ? 57 % estiment que cela sera
négatif pour la démocratie et 28 % positif. La position négative est
majoritaire dans tous les espaces électoraux, sauf parmi les électeurs
du PP. Celui-ci est bien disposé à nouer des alliances avec ce parti
d’extrême droite, comme l’ont montré les négociations pour former le gouvernement régional en Andalousie. Christian Hoarau est l’auteur de « La Catalogne : sortir du
labyrinthe in Le retour des populismes (Éditions de la Découverte, 2018)
et de « La Catalogne dans tous ses états » (L’Harmattan, 2017).
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